Mon expérience du Club Thorax
Des années 80 aux années 2000 JP Sénac


Je suis rentré au Club Thorax dans les années 80. C’est Jacques Rémy qui m’a coopté. Le Club Thorax était alors un collectif de médecins experts en radiologie/imagerie thoracique sans statut particulier, où l’on entrait par cooptation et dont Max Coulomb a raconté les débuts. Comme il l’a précisé, son but était l’enrichissement mutuel par présentations de dossiers exceptionnels et/ou pédagogiques. Du fait de mon orientation clinique et pour répondre aux directives édictées par le C.E.R.F. (radiologie clinique regroupant diverses spécialités d’organe), Le professeur Jean-Louis Lamarque m’avait confié à Montpellier la spécialité d’organe : thorax et cardio-vasculaire dans un premier temps et ce sera l’objet de ma thèse, j’ai développé l’angiographie pulmonaire et l’angiographie bronchique. J’avais acquis en artériographie bronchique diagnostique une des plus grandes expériences françaises, plus tard complétée par l’embolisation thérapeutique que je débutais en parallèle avec l’équipe de Jacques Remy à Lille et de Max Coulomb à Grenoble. 
Le professeur Max Coulomb a évoqué la naissance du Club Thorax à une époque où le scanner X était encore une technique en devenir.
Quelques dix ans plus tard mon entrée au Club Thorax coïncidait avec le développement de l’utilisation du Scanner X en pathologie thoracique. L’arrivée du scanner X dans cette spécialité irritait un peu certains de nos maîtres radiologues devenus champions dans la lecture du cliché standard. L’un d’eux pensait que le scanner X n’était intéressant que pour l’étude du médiastin. Il faut reconnaître que les premières images de tomodensitométrie thoracique étaient assez grossières. L’avenir et les perfectionnements rapides de la technique ne lui donneront pas raison. Mais la résistance venait surtout des pneumologues qui voyaient disparaître des techniques qui leur appartenaient comme la bronchographie et surtout la tomographie. La résistance fut forte de ce côté là, mais, comme les résultats même balbutiants du scanner X commençaient à s’imposer en permettant des études jusque là impossibles qui bouleversaient le diagnostic et même certaines classifications nosologiques comme celle des atteintes interstitielles parenchymateuses, il fallut bien se rendre à l’évidence. Après un temps d’observation, les pneumologues furent convaincus de la validité de la méthode et comprirent qu’il était essentiel de se former en tomodensitométrie thoracique. Cela fit le succès des enseignements dispensés sur ce sujet par des radiologues issus du Club Thorax. 
C’est ainsi que nous avons créé Max Coulomb et moi-même, les Ateliers de Tomodensitométrie thoracique entre Grenoble et Montpellier avec la participation de nos élèves respectifs : Gilbert Ferretti et Jacques Giron. Je reviendrai sur ce sujet.

Mais revenons aux séances du Club Thorax. Comme Max Coulomb les a bien décrites, je ne rajouterai que quelques détails.  Elles se déroulaient en effet le samedi matin à l’hôpital Necker à Paris (hôpital des enfants malades). N’étaient envisagé que très peu de séances en province. À ce sujet, j’ai eu le privilège de recevoir le Club Thorax à la Grande Motte prés de Montpellier.
Les séances que j’ai connu se déroulaient de la façon suivante : au rythme des arrivés (les parisiens n’étaient pas toujours les premiers… !) nous nous regroupions autour d’un négatoscope chacun avec ses dossiers sous le bras. L’un d’entre nous, souvent un parisien arrivé avant les autres (Pascal Lacombe par exemple) dirigeait les présentations. L’ambiance était amicale, conviviale, nous nous appelions tous par nos prénoms. Les plaisanteries n’étaient pas rares. Chaque participant présentait un dossier de son choix qui comportait divers examens d’imagerie. Durant la présentation les hypothèses diagnostiques fusaient parmi les participants puis après un temps d’observation le présentateur livrait le diagnostic final qui très souvent surprenait et donnait lieu à des commentaires plus ou moins fournis. Puis en fin de séance, comme l’a évoqué Max Coulomb, on choisissait les dossiers les plus intéressants qu’on faisait dupliquer pour tous afin de se constituer comme le disait Jacques Giron un « petit trésor pédagogique ».

Parmi les participants de mon époque j’ai rencontré quelques « anciens » comme Pierre Bernadac dont a parlé avec beaucoup de justesse Max coulomb. Puis des nouveaux dont le nombre s’est accru avec le temps. Parmi ceux-là citons :
 
Pascal Lacombe parisien très présent avec de nombreux dossiers de pathologie vasculaire pulmonaire, spécialiste des complications pulmonaires de la maladie de Behcet,

Philippe Grenier la référence parisienne,
 
Marie-France Carette de l’hôpital Tenon de Paris,

Pierre Alain Genevois radiologue suisse qui était responsable du département d’imagerie dans l’European Respiratory Society et qui veillait jalousement sur cette fonction.

Mostafa El Hajjam parisien, 

Bernard Padovani radiologue universitaire de Nice, 

Gilbert Ferretti de Grenoble élève de Max Coulomb,

Jacques Frija de Paris,

Michel Brauner de Paris, spécialiste de la Sarcoïdose, 

Antoine Khalil de Paris,
 
Jacques Giron mon collaborateur,
 
Liliane Metge radiologue à Nîmes chez mon ami François Lopez,
 
Pierre Fajadet, un ami de Jacques Giron radiologue libéral à Toulouse à l’exubérance toute méridionale,
 
Gérard Durand pneumologue à Béziers. 

Si j’ai oublié quelqu’un qu’il ne m’en tienne pas rigueur. 

Je voudrais maintenant insister sur quatre figures du Club thorax de cette époque 

Tout d’abord Max coulomb qui fut une figure marquante de l’imagerie thoracique de cette époque. Nous avons tous les deux des origines montpelliéraines mais Max fit toute sa carrière à Grenoble, moi à Montpellier. Comme il l’évoque lui-même, Max a été très influencé par les travaux des radiologues anglo-saxons en particulier lors des séminaires de Davos, il élabora ainsi une séméiologie très sophistiquée du cliché standard basée sur l’anatomie et la physiologie thoracique. Ses nombreuses interventions lors des manifestations de notre discipline lui valurent une réputation méritée auprès des radiologues mais aussi auprès des pneumologues. Max possédait en outre un art oratoire peu commun : il savait communiquer son enthousiasme à l’assistance et terminait toujours ses exposés par une formule éclatante qui frappait les esprits. Certains de ses aphorismes sont restés longtemps dans la mémoire des radiologues et des pneumologues qui assistaient à  ses cours comme  « Le flirt n’est pas la pénétration… ! » ce qui voulait dire qu’une tumeur peut se situer au contact d’un organe sans le pénétrer. Max Coulomb était très apprécié pour l’originalité et la qualité de ses présentations.
 Il avait très tôt compris l’intérêt du scanner X dans l’étude des pathologies thoraciques et ce dès les balbutiements de la méthode. C’est à ce moment là que nous avons créé ensemble les ateliers de Tomodensitométrie thoracique qui se dérouleront tantôt à Grenoble tantôt à Montpellier. Nous avons été secondés dans cette démarche par nos collaborateurs/élèves respectifs Gilbert Ferretti pour Max et Jacques Giron et Claudine Bousquet pour moi. Au début Jacques Giron, Claudine Bousquet et moi-même étions très impressionnés par le professionnalisme de Max. Pour les raisons déjà évoquées, c’était difficile de lui succéder au pupitre, mais il fallait s’y contraindre. Dans son style chacun avait des qualités. Par exemple Jacques Giron était brouillon, ses diapos n’avaient pas la perfection de celles de Max, néanmoins il savait capter le public par sa volonté de faire passer des idées qui pour la plupart éveillaient d’intéressants problèmes. Avec le temps, nous avons appris à nous apprécier et comme le succès était au rendez-vous nous avons trouvé un juste équilibre qui contentait tous les participants. Nous avions pris aussi l’habitude de solliciter la participation d’autres membres du Club Thorax comme Pierre Bernadac qui venait de Nancy pour nous faire un exposé général sur l’imagerie médicale, exposé plein d’humour et d’érudition (Il soutenait par exemple que le pointillisme en peinture était l’ancêtre de l’image numérique pixellisée). C’est aussi à l’occasion de ces rencontres que nous nous sommes devenus amis. Max et sa charmante épouse nous recevaient chez eux avec beaucoup de chaleur et d’amitié. Beaucoup de soirées très agréables dans leur bel appartement passées à discuter de divers sujets car Max était très érudit et sa femme ancienne journaliste suivait un cursus d’histoire de l’art. 
Puis ces ateliers de tomodensitométrie thoracique se sont éteints d’eux-mêmes. Il arriva un temps en effet où les radiologues se sentirent capables de réaliser et de lire les scanners thoraciques comme les pneumologues sur leur ordinateur. Le radiologue reste néanmoins indispensable lors des staffs multidisciplinaires (RCP) pour orienter les diagnostics et programmer des ponctions biopsiques.

Jacques Giron

J’ai déjà évoqué Jacques Giron lors de sa disparition mais je voudrais revenir sur quelques aspects de son personnage. Tout d’abord il s’agit de quelqu’un d’extraordinaire qui connut une vie romanesque. Pour des raisons que je ne connais pas mais que j’imagine (père réfugié espagnol certainement républicain…). Jacques sera fidèle toute sa vie à un engagement militant communiste et anarchiste. En mai 1968 il fera parler de lui à Toulouse de telle manière que bien qu’ancien interne des hôpitaux de Toulouse il n’obtiendra pas de poste d’assistant chef de clinique. Passé en Espagne pour distribuer des tracts anti-franquistes, il connaîtra les geôles de Franco dont il sera libéré après une mobilisation de ses camarades toulousains (Toulouse se couvrit à l’époque d’affiches réclamant la libération de Giron). Après une affectation à la clinique de la Feuilleraie à Marseille (clinique gérée par la C.G.T. ), Jacques Giron était toujours à la recherche d’un poste d’assistant hospitalo-universitaire. Francis Joffre, jeune agrégé toulousain, me le proposa pour un poste vacant dans mon service. Après de brèves présentations j’accepta et, d’emblée, je ne le regretta pas. Jacques Giron était un gros travailleur pas avare de son temps, très entreprenant et inventif, (par exemple nous avons été les premiers à pratiquer les ponctions biopsiques guidées par le scannerX) de plus il s’attacha à moi comme un ami. Sous des aspects bourrus et coléreux (porc-épic),  Il était d’un commerce très agréable , cultivé acceptant la controverse, l’inverse de quelqu’un de sectaire. Lors de tous les déplacements que nous faisons en voiture pour aller à des congrès ou des E.P.U. (spontanément Jacques Giron m’accompagnait dans tous mes déplacements professionnels même s’il n’était pas prévu qu’il y prenne la parole), nous avons le loisir de nous connaître et de nous apprécier. En fait, malgré notre différence de fond, nous partagions beaucoup d’idées et de points de vue. C’est au cours de ces échanges que nous avons formé le projet de diriger le premier livre français sur le scanner X qui sortit en décembre 1985 : Tomodensitométrie Thoracique ed Axone
Je garde de Jacques Giron le souvenir d’un homme de convictions (qui n’étaient pas les miennes, je le précise) d’un homme courageux, droit et honnête comme j’ai pu le constater dans des circonstances pénibles. 


Liliane Metge

Comme pour Jacques Giron c’est sur ma proposition que Liliane Metge a été cooptée au Club Thorax. Liliane Metge était l’assistante de mon ami le professeur Francois Lopez dans le service d’imagerie médicale de l’hôpital de Nîmes. Très tôt elle s’orienta vers l’imagerie thoracique au sein de l’équipe nîmoise. Montpellier-Nimes c’est la même faculté. François Lopez et moi-même sommes des élèves de Jean-Louis Lamarque. Nimes et Montpellier sont distants de 40 Km (une demi-heure par l’autoroute) Tout cela rend compte de notre étroite collaboration. C’est ainsi que j’ai pu apprécier ses qualités. Une intelligence très vive servie par une grande érudition. Toujours des réflexions pertinentes et inventives. Un travail soigné et méticuleux. Tout cela agrémenté par un contact très agréable (sympathie et discrétion). Liliane fut très présente aux séances du Club Thorax et eut la gentillesse de m’inviter lorsque le Club Thorax se déplaça à Nîmes. Nos relations professionnelles et amicales se poursuivirent lorsqu’elle fut en pré-retraite à l’hôpital de Nîmes, en particulier pour la rédaction d’un livre d’images du corps humain in vivo (Voyage au Centre du corps humain. Archipress édition 2020)

Gérard Durand

Le cas Gérard Durand est particulier. En effet Gérard est un pneumologue qui s’est pris de passion pour l’imagerie. Je l’ai connu à travers mon ami Henri Mary chirurgien thoracique et vasculaire, quand nous avons travaillé ensemble sur le premier scanner X Pfizer localisé dans le service du professeur Lamarque à l’hôpital Saint Eloi. Henri alors en vacance de bloc opératoire découvrait avec moi les coupes thoraciques. Ses connaissances anatomiques et pathologiques nous étaient très utiles. Nous recevions des malades de toute origine, mais Henri appréciait particulièrement les patients adressés par un certain Gérard Durand pneumologue à Béziers. « Tous ses malades sont très bien explorés et cadrés, pour ça tu peux lui faire confiance c’est un des meilleurs pneumo de la région… ! » Excellent pneumologue mais aussi très attiré par l’imagerie médicale et la pédagogie (il aurait été un brillant universitaire s’il avait choisi cette voie). Nous nous sommes rencontrés à l’occasion de manifestations d’enseignement et, devant son orientation, je lui ai proposé des vacations dans mon service, vacations qu’il effectua avec régularité et ce bien après mon départ à la retraite. Certains esprits chagrins, radiologues médiocres pour la plupart critiquèrent cette attitude prédisant que sous peu les pneumologues allaient remplacer les radiologues sur les consoles de scanner comme cela se produit malheureusement dans certains établissements pour le coroscanner. Or une telle éventualité ne se réalisa pas, par contre les pneumologues attachés à mon service comme Gérard Durand mais aussi Olivier Benezet, Michel Terol et Pierre Zerbib furent de précieux collaborateurs pour interpréter les premiers scanners thoraciques et pour participer à l’élaboration de la  nouvelle séméiologie tomodensitométrique des affections thoraciques. Nous avions des vacations sur le scanner le moins prestigieux du nouveau service flambant neuf très bien équipé du Professeur Lamarque à l’hôpital Lapeyronnie, le scanner CGR CE-9000, scanner qui avait été imposé par la direction des hôpitaux car d’origine française (Compagnie Générale de Radiologie) . Or il se révéla que cet appareil indiscutablement plus lent que son voisin allemand Siemens, possédait une définition spatiale remarquable ce qui nous permit une étude précise du parenchyme pulmonaire en utilisant des coupes millimétriques. Nous fûmes alors une des premières équipes françaises à démontrer l’intérêt des coupes millimétriques dans l’étude du parenchyme pulmonaire et des maladies interstitielles pulmonaires. Notre petite équipe était composée du côté radiologique en dehors de Jacques Giron et de moi-même de Claudine Bousquet qui fut une collaboratrice très appréciée par sa compétence et sa gentillesse. Que d’enthousiasme autour de la console du ScannerX, enthousiasme contagieux et convivial qui gagnait les manipulateurs. Nous formions un groupe d’amis qui sélectionnaient en particulier les dossiers que j’amenais au Club Thorax et avec Jacques Giron quand il en fit partie. Au retour du Club nous avions l’habitude d’examiner et de commenter les dossiers présentés qui constituaient un « trésor pédagogique » très utile pour l’enseignement.

Une autre qualité de Gérard Durand fut son rôle d’interface avec le milieu pneumologique (praticiens, sociétés savantes et laboratoires etc…). Dans sa propre discipline il fut reconnu comme spécialiste en imagerie pneumologique. Grâce a lui et avec lui nous avons participé chaque année en parallèle aux congrès radiologiques, à tous les congrès de pneumologie nationaux et européens. Gérard Durand, Jacques Giron et moi-même formions un trio inséparable présentant souvent des cas radio-cliqués aux participants de ces congrès. C’est aussi pour ces raisons que nous avons été sollicités pour rédiger des brochures destinées aux pneumologues.
Gérard Durand n’a pas le caractère emporté et ombrageux de Jacques Giron, c’est un homme courtois, cultivé, de commerce agréable un musicien qui nous régalais avec son groupe de rock lors des mondanités rattachées aux manifestations scientifiques. De par son érudition et son ouverture d’esprit, il a toute sa place au sein du Club Thorax nouvelle formule.

Voilà un aperçu de ce que fut mon vécu au Club Thorax à une époque de transition qui connut l’arrivée du Scanner X et les transformations exceptionnelles que l’arrivée de cette nouvelle technique apporta. Ma participation au Club Thorax fut une expérience bien enrichissante sur le plan scientifique et sur le plan humain. 


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